Avoir des enfants pour les voir mourir, il n'y a rien de pire évidemment pour un père ou une mère, ou même les deux, ou des fois même trois, mais là on rentre dans les secrets d'alcôve et on ne s'y aventurera pas, même avec des patins, si c'est ciré comme plancher d'alcôve en chêne, si l'on a bon goût, et ça va avec tout. 

C'est sûrement le moment le plus douloureux de sa vie, au type qui raconte, que son fils unique meure. 

Son fils meurt dans un accident de chantier. 

Un chantier de charpente. 

Cloué sur une croix par des romains. 

Le fils. 

À l'époque sur les chantiers, la sécurité des travailleurs n'est pas considérée comme une priorité, on n'a pas de chaussures de sécurité, on est souvent pieds nus voire en sandales si l'on est plus ou moins fortuné, plutôt moins même, ne lésinons pas sur les moyens; parfois on peut aller se payer une belle paire de sandales à la mode à la boutique de sandales de luxe du quartier, lorsqu'on a payé tout ce qu'on devait payer comme la nourriture, le fourrage pour les chameaux, le gaz ou l'électricité, par contre on n'a pas de casque de protection, tout juste une couronne d'épines qui ne protège de rien du tout. 

Par exemple un marteau-piqueur tombe du 60ème étage d'un building romain en construction, l'ouvrier qui porte une couronne d'épines n'aura que peu de chance d'avoir de la chance. 

La couronne d'épines est très probablement l'ancêtre du casque de chantier, bien qu'on n'en soit pas complètement sûr, à l'heure où j'écris ces lignes. 

Cela reste une épineuse question, et c'est fort logique somme toute, soit dit au passage.

Mais attendons avant de nous emballer, il faut bien sûr se replacer dans le contexte de l'époque pour comprendre.

Je vous connais, vous êtes tout fous, dès que vous en avez l'occasion, dès que j'ai le dos tourné, vous vous emballez comme ça pour trois fois rien.

Ne nous emballons pas et replaçons-nous dans le contexte de l'époque pour comprendre.

Nous sommes à Jérusalem dans les monts de Judée en l'an 33 pendant J.C., sur le mont Golgotha. 

Le mont Golgotha n'est pas à proprement parler une montagne, c'est un mont, une colline si peu élevée qu'on ne peut en faire un domaine skiable, d'où l'absence notable d'un téléphérique ou même d'un simple tire-fesses à cet endroit. 

Lors de son ascension de ce mont vers le chantier romain situé à son sommet, le Christ - car c'est de lui qu'il s'agit – ne peut donc pas par conséquence faire son chemin de croix en tire-fesses ou sur la banquette moelleuse d'un téléphérique, nous l'avons déjà dit, et même si on ne l'a pas encore vraiment dit, on était tout près de le faire. 

C'était tout comme. 

On n'était pas loin. 

Il ne nous aura manqué que quelques mètres. 

Des fois ça tient à peu de choses, quand on y pense. Ça se joue à rien.

-Vous êtes bien Monsieur Christ?

-Oui monsieur le soldat romain, c'est moi, Christ, prénom Jésus.

-Jésus? C'est un prénom biblique ça non?

-Je sais pas, mais que me reproche-t-on à la fin? Et c'est quoi la Bible?

-Vous avez été condamné par le Sanhédrin à la crucifixion à vie pour avoir, je cite, « dit à tout le monde que vous êtes le fils de Dieu ». Mais vous avez manifestement commis une usurpation d'identité.

-Mais non pourquoi?

-Votre vrai père ne s'appelle-t-il pas Joseph Charpentier plutôt?

-Mouiii...enfin...c'est compliqué pour dire les choses, c'est-à-dire que nous sommes une famille recomposée, les services sociaux sont parfaitement au courant, notre situation familiale est connue, nous ne cachons rien à l'administration et je ne...

-Écoutez, je ne suis pas ici pour refaire votre procès, je ne suis pas là pour commenter une décision de justice, je ne suis là que pour exécuter votre peine, mon rôle s'arrête là. Vous avez une préférence pour la couronne d'épines à ce propos? Plutôt portée sur le côté ou à la mode, portée sur l'arrière du crâne? Avec une visière? Une couronne d'épines en coton ou en épines? Et il me semble que vous n'avez pas une tête à chapeau, vous connaissez votre tour de tête?

-Non, alors là pas du tout, désolé, j'avoue bien humblement que non pas du tout mais alors, pour le coup.

-Bon je vais vous mettre le modèle standard alors, du 40 hein ça me paraît bien du 40, s'il est un peu trop serré, ils se fera avec le temps, ne vous inquiétez pas, la couronne d'épines ça serre au début mais ça se détend. Et vous avez un mois pour l'échanger si vous n'êtes pas satisfait, sachez-le.

-Et sinon, pour la crucifixion, ça se passe comment? Je dois faire faire un devis pour une croix? Faire une demande à la mairie concernant des travaux? Et pour l'emplacement, il faut un permis de construire?

-Non non, nous nous occupons de tout, c'est nous les maîtres-d'œuvre, on s'occupe des fournitures et de la pose, ainsi que des formalités administratives. Et c'est totalement gratuit, vous n'avez aucun frais à avancer, pas d'arrhes à verser, rien du tout, c'est cadeau, ça nous fait plaisir, et c'est même garanti dix ans pièces et main-d'oeuvre.

-Bon ben ça me paraît honnête, c'est même très tentant. Et sinon pour la croix, y a une cabine d'essayage?

C'était une autre époque, vraiment. 

Non je dis c'était vraiment une autre époque. 

À cette époque on savait s'amuser, c'était pas comme maintenant.

À suivre...

Read More
Commis par pow wow on samedi 16 mai 2020


C'est l'épilogue d'une vie de poireau donc, commencée pourtant quelque mois plus tôt, au beau soleil du mois de mai, dans un champ de bonne terre travaillée avec amour par un paysan bourru aux mains calleuses comme seuls les berrichons ont des mains aussi calleuses. 

Le berrichon a la tête près du bonnet c'est vrai, mais il a aussi les mains calleuses, voilà tout son charme. 

D'ailleurs aucune fille bien charpentée de la ville, solide comme un roc et dure à la tâche ne peut résister au berrichon de la terre. 

Bon je ne connais aucun berrichon donc il se peut que ma magistrale démonstration atteigne ses limites ici, mais j'ai demandé à toutes les filles que je connais, aucune d'elle ne résisterait à un berrichon aux mains calleuses d'après leurs dires. 

Je les ai cuisinées, travaillées au corps sans relâche, interrogées sous le régime de la garde à vue, et elles ont fini par craquer, en pleurs, me révélant ce que je voulais entendre. Des aveux.

-Tu vas parler oui? Crache le morceau! J'en ai eu des plus coriaces que toi ma petite, j'ai eu le gang des lyonnais, le gang des bordelais, le gang des aveyronnais du sud, le gang des siciliens, le gang à Baader, le gang des yakuzas, le gang des jacuzzis, le gang des Genovese, le gang des Lucchese, le gang des Bolognese, le geng des Tartelettofrese, tous ont parlé, tous ont avoué, tous sont sortis d'ici en morceaux, ruinés, mais soulagés d'avoir allégé leur conscience, penses-y. Bon reprenons, explique-moi comment se fait-il qu'on ait retrouvé des milliers de photos de mains calleuses dans le disque dur de ton ordinateur? Tu vas nier encore longtemps avoir de l'attirance pour les vieux paysans berrichons sans défense? Tu n'as pas honte? Tu sais qu'un vieux paysan berrichon sans défense verra son enfance traumatisée à vie et que c'est son avenir qui est dès lors compromis? Réfléchis à ça, réfléchis aux dégâts que tu peux causer, et pense que tu enrichis les mafias qui prospèrent en photographiant des vieux paysans berrichons aux mains calleuses dans de sordides réseaux.

C'est souvent des choses qu'on oublie ça, les mafias qui prospèrent, et de payer le loyer aussi, et je suis là pour le rappeler, et heureusement, pourrait-on dire. 

On peut aussi ne rien dire mais je laisse le poids de la honte écraser votre conscience. 

Si vous en avez une. 

Et une éthique aussi.

Pensez à payer le loyer, j'ai dit que j'étais là pour le rappeler. 

Rappelez-moi le mois prochain à vous faire penser à payer le loyer. 

Du mois prochain.

Faites un marque-page ici, et surlignez en rose fluo la phrase qui suit.

MARQUE-PAGE POUR PENSER À PAYER LE LOYER DU MOIS PROCHAIN (ET DES AUTRES MOIS PROCHAINS AUSSI)

Faites un autre marque-page ici, et surlignez en vert fluo la phrase qui suit.

MARQUE-PAGE POUR PENSER À REGARDER LE MARQUE-PAGE CI-DESSUS LE MOIS PROCHAIN (ET LES AUTRES MOIS PROCHAINS AUSSI)

Une autobiographie, plus j'y pense, plus je trouve que ouais c'est bien.

J'en ai déjà lu une, effectivement c'était chouette.

Bon c'était pas vraiment une autobiographie, c'était un genre d'ouvrage collectif. 

Une autobiographie collective de pleins de gens.

L'histoire de types chelous, qui doivent prendre de la drogue, parce que leur récit c'est que des hallus, des fois collectives, mais c'est costaud leur produit.

Déjà au départ de leur histoire au type, il dit qu'il sont dans un endroit où il n'y a rien, sûrement une gare en Roumanie, et un type décide qu'il doit allumer la lumière, parce qu'il est dans l'obscurité, qu'il a inventée. 

Déjà t'imagines les produits qu'il prend le type.

Et il allume la lumière. 

Bon déjà, ça sent le pétard à plein nez, je sais pas vous. 

Si y rigole comme un benêt, c'est signé. 

C'est de la bonne.

Y dit qu'il allume la lumière et qu'il voit que tout ça est bel et bon, et qu'il va passer à la phase 2.

Le mec racontait toute sa vie, un truc de dingue, le mec c'était un aventurier de première bourre, le baroudeur-type qu'a tout vu, tout fait, vraiment tout. 

Le plus émouvant, c'est qu'il racontait qu'il avait eu un fils a un âge déjà avancé, et qu'il avait perdu ce fils. 

Parce qu'il y a des gens comme ça qui ne s'engagent à fonder une famille et à n'avoir des enfants qu'après avoir bien profité de la vie, la fête, les voyages, les filles, la samba, le karaoké, s'enivrer des plaisirs de la vie jusqu'à l'excès, goûter à l'expression de la liberté sans entrave aucune croit-on, car courir toute sa vie après la liberté, c'est déjà ne plus être libre. 

Réfléchis un peu à ça.

Être libre, c'est tout rejeter, y compris la liberté. 

T'as vu le niveau du concept un peu?

S'enchaîner à la liberté, c'est la pire des servitudes, faite d'aveuglement et de dévotion au-delà du raisonnable, jusqu'au jour où l'on en fait une statue tellement la dévotion est forte, tellement on déifie cette notion, et pour dire aux autres qui sont des cons je sais j'en connais mais je dirais pas les noms, et au monde: « Voyez quel est notre Dieu, voyez ce qu'on aimerait atteindre, voyez ce qui nous est pour l 'heure inaccessible et que nous espérons pourtant». 

Oui d'accord mais tout ça n'a aucun rapport avec l'histoire de ce type. 

Elle est bien bonne celle-là, une statue de la Liberté, je voudrais bien voir ça.

N'importe quoi.

À suivre...

Read More
Commis par pow wow on dimanche 10 mai 2020


Le raffinement et l'accord parfait que forment l'alliance d'un coup de blanc et de ce poisson, ce ne peut être le fruit du hasard. 

Il y a très clairement une émanation intelligente à l'origine de cette combinaison céleste, n'ayons pas peur des mots. 

Sur des millions de milliards de combinaisons possibles, sur des distances impossibles, le hasard ne pouvait placer le sandre au rayon poissonnerie et le Meursault au rayon vin dix mètres plus loin, alors que la taille de l'univers observable serait d'environ 100 milliards d'années-lumière. 

C'est impossible que tout ça se retrouve côte à côte chez Shopi, tout ça à quelques mètres du rayon beurre, qui plus est.

Tu vois la combinaison miraculeuse. 

Tu vois le truc. 

C'est énorme.

On aurait pu voir le Meursault s'épanouir dans les chais en bois de zbültrq (l'équivalent du chêne local) sur Bételgeuse, et le sandre pêché dans les étangs poissonneux de Proxima du Centaure.

Et le beurre je t'en parle même pas, bon pas à côté d'une supernova non plus parce que c'est chaud et le beurre ça supporte moyen la chaleur.

Comment alors se faire rencontrer les deux ? Parce que si le Meursault supporte bien les années et le voyage, question poisson...c'est une autre histoire.

D'ailleurs c'est une autre histoire.

Certes.

Oui donc.

Recentrons le débat.

Je parlais de cela, du sandre au beurre blanc, car lorsqu'on se voit avec mon éditeur, c'est au restaurant. 

C'est pour ça que je le vois beaucoup.

Une autobiographie, tout bien considéré c'est vrai que ce serait le mieux.

Oui mais une grosse alors, une bien grosse et bien épaisse, pour qu'on puisse se voir souvent. 

Pour en discuter. 

Au restaurant. 

Parce qu'il y a tellement de choses appétissantes sur les cartes, ce serait dommage de rater tout ça.

Une autobiographie. 

En cinquante-quatre volumes. 

Un par année.

Va falloir que je brode. 

Sacrément. 

De ouf.

C'est pas possible, faut que je m'invente une vie.

Je peux même arguer du fait que je connais bien le bouddhisme - la religion des bouddhistes, pas les films de bouddhisme comme David Carradine ou Kung-fu Panda – et particulièrement leurs histoires de réincarnation et de vies successives, ou renaissances, pour lui proposer mes sept autobiographies de cinquante-quatre volumes chacune. 

Les sept premières. 

En prenant soin de raconter qu'à chaque fois, j'ai été réincarné en homme ou en femme ou en enfant, ou en hermaphrodite amish, ou en ami des bathyscaphes, parce que comme chez eux on peut être réincarné en animal ou en végétal aussi, faire l'autobiographie d'un poireau, ça peut présenter un intérêt limité, ne nous le cachons pas.

Le poireau n'ayant pas une vie longue et trépidante à la base.

A-t-on déjà vu plus apathique qu'un poireau dans un champ, en hiver, par grand vent ?

Oui.

Un champ tout entier de poireaux apathiques.

Et une autobiographie de poireau se termine fatalement dans une casserole un soir de décembre, dans la cuisine sombre d'une chaumière du Berry, alors que le froid frappe à la porte d'entrée, dont les veines ont été creusées par le temps et les intempéries et aussi un peu la pluie, et les intempéries dans le Berry on connaît, c'est du lourd.

Au coin d'un feu, dans une marmite fumante, le poireau est là, il se meurt. 

La fumée qui s'échappe, tout le monde pense qu'il s'agit de l'eau qui s'évapore. 

Non. 

C'est l'âme du poireau qui s'envole. 

Avec celle de ses collègues les choux. 

Et celle de ses copines les saucisses.

René le poireau aura bien remarqué, peu avant ses derniers instants, les clins d'œil aguicheurs de la grosse Lulu la saucisse, bien bâtie la Lulu, une belle saucisse plantureuse de chez le boucher, bien gironde, avec des formes somptueuses et plantureuses je l'ai déjà dit, elle cherche l'aventure la Lulu, elle n'a pas froid aux yeux qui sont dans le bouillon, et par un jeu savant de contorsions dues à la chaleur, elle aura réussi à se rapprocher subrepticement de René le poireau, qui n'est déjà plus que l'ombre de lui-même. 

Encore un dernier centimètre dans l'eau frémissante, et au moment où la Lulu frôlera de sa croupe charnue la frêle silhouette du René, c'est à ce moment qu'il sombrera pour toujours au fond de la marmite. 

Destin tragique penseront certains, alors que d'autres s'en foutent complètement. 

Pour ne pas dire s'en carrent l'oignon. 

Et se carrer l'oignon dans le Berry on connaît, c'est du lourd.

À suivre...

Read More
Commis par pow wow on mercredi 6 mai 2020
.
Fourni par Blogger.

RÉALISER UNE DONATION

NOMBRE DE CHATONS ÉTRANGLÉS POUR TROUVER L'INSPIRATION

Contrat Creative Commons
Les créations originales contenues sur ce site (textes, dessins, photos, vidéos) hors contenu ne m'appartenant pas (photos, textes, images, codes source, vidéos, logos, marques), sont sous licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.0 France License.