Il faudrait oublier.
Difficile.
Y a des choses de notre lointain passé dont on ne se relève jamais vraiment.
Quoiqu'on réussisse à avancer dans la vie, il y a, tapies dans l'ombre des vieilles armoires poussiéreuses aux portes grinçantes héritées un dimanche d'automne de nos grand-mères moustachues, si ça existe, des survivances du passé, figées, fixées, qui, lorsque vous êtes en passe de les oublier, se rappellent à votre bon mauvais souvenir. Des témoignages pour l'éternité, pour que justement vous n'oubliiez jamais le malheur qui vous a frappé, dans une lointaine vie.
Les photos, les vieilles photos.
Dans des boîtes en carton.
Entassées dans de vieilles boîtes en carton donc, on ignore pourquoi au juste on les garde ces photos, pire, jamais on ne se pose même la question, on les garde c'est comme ça, un automatisme, un atavisme, comme si le passé s'accrochait à nous sans même qu'on s'en rende compte, comme s'il voulait entraver notre liberté, nous garder captifs, un lien invisible et puissant qui nous tient, qui oblitère tout notre avenir.
Des photos, disais-je.
J'ai ouvert l'armoire pour chercher je ne sais plus quoi, la boîte qui devait être en équilibre est tombée, éparpillant les clichés sur le sol. Peut-être qu'un petit démon malicieux et invisible mais malicieux je regrette je l'ai dit en premier, a poussé la boîte, pour me replonger dans l'angoisse.
Ma mère.
Tout ça c'est la faute de ma mère.
J'ai regardé ces photos, lorsqu'on était enfants, et j'ai dû me rendre à l'évidence, alors qu'une bouffée d'angoisse montait en moi, que je commençais à suffoquer et que perlaient sur mon front des gouttes de sueur âcres je sais j'ai goûté c'est pas bon c'est âcre, ma mère possédait une caractéristique à laquelle des générations d'enfants miraculés ont échappé.
Elle faisait de la couture.
Elle était couturière à ses heures perdues, et par un malheureux concours de circonstances, elle était une TRES BONNE couturière. Je veux dire que si elle avait été mauvaise, peut-être qu'elle n'aurait pas insisté longtemps. Mais comme elle était bonne, elle s'est lâchée grave.
On était dans les années 70. Je vous fais pas un dessin.
Les autres enfants étaient habillés normalement dans les années 70, enfin je veux dire si tant est qu'on puisse juger comme normale la mode de cette époque-là, ça avait un côté légèrement exubérant, je vous apprends rien, les sous-pulls qui collaient à la peau et faisaient des étincelles dans le noir, les pantalons en Tergal et les clarks marron, sans parler des K-way. On n'était pas pauvres, mais ma mère avait à coeur de faire TOUS nos habits. Je vous passe les longues après-midi passées en slip debout sur une chaise les bras en croix pour les séances d'essayage interminables, et les nombreuses fois où les épingles nous ont piqués, c'était devenu la routine.
J'aurais dû comprendre bon sang, les épingles innombrables, les bras en croix, ça avait un côté le mec martyr et sa couronne d'épines. Misère de misère, si je m'étais vu dans une glace à ce moment-là, j'aurais compris l'allégorie, et je me serais taillé en courant.
Mais là où c'était grave, c'est que si la mode était déjà farfelue comme vous le savez tous, ma mère avait une inspiration débordante.
Un calvaire.
Je veux dire qu'en toute circonstance, on était...voyants. On sortait du lot. Clairement. Dans les années 70, les gens étaient habillés en années 70.
Nous aussi on était habillés en années 70. Mais puissance 10.
C'est vrai que c'était pour elle un bon moyen pour ne pas nous perdre, soit. C'est vrai aussi qu'aucun pédophile ne se serait risqué à nous enlever, trop dangereux, il n'aurait pas tenu plus de cinq minutes sans qu'on nous repère, même de très loin. Je ne sais pas où elle achetait ses tissus, mais elle devait être la seule à connaître la boutique, peut-être même que ça se passait dans la cave, qu'il y avait des esclaves enfermés et gavés de LSD qui travaillaient uniquement pour elle. Ce devait être dans la même période où la CIA expérimentait le LSD sur des pauvres gus. Peut-être que ma mère était de la CIA et menait des expériences extrêmes, y compris sur nous. Je ne le saurai jamais.
Faut dire en toute honnêteté qu'on était TRES BIEN habillés. D'un point de vue professionnel s'entend. Rien à redire sur la qualité du travail. Ce n'est pas sur la conception et la finition que ça péchait. Mais plutôt sur le design, les textures et les motifs.
Pour vous donner un ordre d'idée, comment dire...vous voyez les habits de scène des Jackson Five? Des Bee Gees? Du groupe Abba? Voire des Rubettes? Tout ça réuni?
Bon ben eux, à côté de nous, ils étaient habillés TRES strict et TRES classique, limite sévère.
Voire austère, n'ayons pas peur des mots.
Des Amish dépressifs, comme qui dirait.
Par rapport à nous.
"-Tiens, le cirque Pinder s'est installé en ville?
-Meuhhh non, c'est pas les Bee Gees et leurs nouveaux costumes de scène?
-Non, c'est les petits de Madame pow wow.
-Ah merde.
-Si c'est pas malheureux!"
Je dois avancer, relativiser, et faire de notre histoire un message.
Ces photos, c'est aussi un témoignage, à léguer aux générations futures. Dans les musées, sûrement qu'on verra un jour, aux côtés des photos terribles des camps de la mort, de ces gens décharnés derrière des barbelés, à côté des photos d'exactions de toute sorte, dans les goulags, à Abou Ghraïb ou ailleurs, les photos des enfants de Madame pow wow.
Pour que l'Humanité n'oublie jamais.
MaybeMother cousait aussi.. mais elle voulait m'habiller comme elle, en réduction... lol...Tu vois les Platters? (un T ou deux? j'ai un doute...)
Lorsque j'ai cous des fringues pour MaybeJunior, dit GothMinou j'ai bien fait gaffe à différencier et suivre une autre mode que la mienne pour lui ...
cousU! le U a été sucré, s'pa ma fôt.
Les cols roulés collants qui grattent...oui j'ai connu ça aussi. Ma mère cousait mais pour mes sœurs seulement jusqu'au jour funeste où mon père lui offrit "la machine à tricoter singer semi-automatique" avec contre-poids, crochets et le toutim ! Je lui en voudrais toujours d'avoir fait ça papa. Il devait être sous l'emprise d'un machin de l'époque ou bien voulait se faire pardonner un truc. A cause de ça, on s'est retrouvés tous les six à arborer des "jacquards" de toutes les couleurs et de toutes les formes aussi. Pow, merci pour cette plongée profonde dans les seventies. Heureusement que nos mômes n'ont connu que les joies du pur coton et du made china. :)
je vais détonner, mais moi j'adorais les sous-pull. C'était confortable, pratique, chaud sans être obligée de mettre 3 couches.
Et puis surtout, c'était unisex ! pas obligée de porter des trucs avec froufrou, ou le petit ruban là qui vient tout saloper, etc...
Vive les sous-pull ! :-)
Terribles les sous-pulls à étincelles, avec des cheveux un peu crêpus. Tu les enfilais, t'étais tout de suite coiffée comme Angela Davis.
Ha ouais terrible les sous pulls, quelle horreur, j'ai la peau fine et elle râlait sa race de mettre des trucs en nylon ou autre machin issu de la chimie du pétrole (viscose exceptée)ou toute laine grattante...
Et les couleurs, hein, les couleurs !
Remarquez les 80's avec le mélange violet+vert c'était dur aussi....
@ Maybe, 2 t à Platters. Aaah, les années 80...Véronique et Davina...les survêts fluos...rien ne nous aura été épargné! ;o)
@Captain, ma mère aussi a eu une grande machine à tricoter (je sais plus la marque mais elle était verte), nous aussi on a eu droit aux pulls jacquard, on est des générations sacrifiées. ;o)
@Kako, décidément, tu ne fais que détonner! Ça ferait moins de bruit si tu détonais! ;o)
@Flo, oui, les concours d'étincelles dans le noir, c'est que quand tu les enlevais vite ça éclairait en plus! ;o)
Je savais bien qu'on finirait par se trouver un point commun, par-delà tout ce qui nous sépare : ma mère AUSSI était couturière. Attention, couturière P.R.O.F.E.S.S.I.O.N.N.E.L.L.E !
Mais moi c'était pas sous les seventies, c'était les années 50 et un peu 60. Quasiment la guerre mondiale quoi ...
@Jules, ah mais ma mère n'a pas attendu les cévennetizes pour sévir, elle a appris la couture chez les bonnes soeurs après la guerre!
si t'as pas eu droit en plus aux patins obligatoires pour cause de passage de cireuse sur le carrelage noir et blanc, c'est que tu t'en es bien tiré ;-)
Tu aurais dû nous en montrer 2 ou 3, qu'on apprécie les talents de ta môman.
"elle a appris la couture chez les bonnes soeurs..."
Argh ! tu veux dire que tu as eu une Mère Supérieure ?
Oh putain ! t'as dû morfler alors !!!
:-)
@Alain, bien sûr que j'ai eu droit aux patins, c't'idée! ;o)
@Asinus, ah oui mais non justement. ;o)
@Jules, non, orpheline elle a atterri chez les bonnes soeurs après la deuxième, elle n'est pas restée longtemps, juste le temps d'apprendre la couture. ;o)
Oh la chance que j'ai eue, ma mère ne cousait pas. J'ai porté les pattes def, les sous-pulls, j'en avais de toutes les couleurs et pis aussi es mini-jupes avec des grandes bottes à gros talons et à bouts ronds, en tissu enduit imperméable noir vernis. Je fus belle et mince alors. souvenirs, souvenirs.
Et tu n'en portes plus de mini-jupes? ;o)
Non je ne peux mettre maintenant autour de mon gras corps qu'une très large sortie de bain, snif !
Ben sinon tu restes dans ton bain! ;o)
Je viens de lire ce texte dans votre livre que m'a offert mon Pôpa et je ris à haute voix, seule dans mon salon. Il fallait que j'en parle à quelqu'un.
De plus, j'ai une question. Vous connaissiez ma Grand-Mère ???? Nan parce que le "Si c'est pas malheureux", c'est d'elle !