Parlant de Jean Ferrat hier et pensant à l'éveil de la conscience que j'évoquais, je me suis remémoré à la suite de ça un épisode survenu dans mon enfance, un de ces évènements marquants et fondateurs de votre vision de la vie et des choses. Il y en eut d'autres, plus difficiles, j'en parlerai peut-être. Sait-on jamais.

J'avais dans les 8 ans et des bananes, quelque chose comme ça, pas beaucoup moins ni beaucoup plus en tous cas. C'était un mois de juillet, et comme souvent, mes soeurs, mon frère et moi passions une certaine partie de nos vacances chez ma grand-mère, en Sologne. Que de bons souvenirs et d'émotions d'enfant j'ai vécus là-bas. Sauf celui-ci.

En cette journée de juillet donc, le Tour de France, cette institution pas encore dévoyée par le fric et la dope, quoique c'était peut-être plus "artisanal", et j'imagine que des coureurs devaient déjà charger la mule d'une manière ou d'une autre, enfin bon, c'est pas le sujet, cette institution passait donc, cette année-là ô bonheur suprême, dans le village de ma grand-mère. Et dans mon esprit, le Tour de France, c'était le truc qu'on voyait à la télé, cette épreuve qui enthousiasmait la France entière chaque année, ce grand barnum bruyant, klaxonnant et coloré passait à deux kilomètres de moi. Excitation pas possible, si ça se trouvait, on allait passer à la télé, si ça se trouvait, on allait voir Léon Zitrone himself ou Guy Lux ou encore toute autre vedette du petit écran.

C'était l'évènement au village, tel qu'il n'avait pas dû en connaître depuis longtemps ce petit village typique aux maisons de briques et de poutres, un débarquement comme celui-là, autant de voitures et de gens d'un coup, la dernière fois, cela devait remonter à l'arrivée des Allemands ou des Américains en 40-45, sinon, je vois pas. Certes cette fois, cela s'annonçait plus convivial et moins guindé, et personne ne nous demanderait de lever le bras au passage des troupes. J'ai bien fait de naître après la guerre, parce que je suis fatigué des bras naturellement. La nature est bien faite.

Je me rendis donc ce jour fatidique au passage du Tour en début d'après-midi, enfiévré et excité comme jamais, je devais être persuadé que j'allais vivre le plus bel et le plus important jour de ma vie, et pourtant j'avais déjà bien vécu, faut dire que j'avais pas mal bourlingué dans la cour de récré de mon école. Fallait pas me promettre l'aventure.

Une foule compacte attendait le long des routes déjà à mon arrivée, c'était la fête sur le "champ de foire", on avait sorti la buvette où la Mairie et ce que la commune comptait de gens importants avaient établi leur quartier général, les guirlandes de ballons et de fanions s'étiraient entre les arbres, on avait sorti des jeux de pêche à la ligne ou de chamboule-tout, il y avait de la musique que crachotaient trois haut-parleurs, merde, ça devait être plus important encore que je ne le pensais, parce qu'ils avaient sorti la très grosse artillerie. Un soleil radieux, une atmosphère vivante, des gens en liesse, l'excitation montait encore.

On attendit très longtemps, beaucoup trop pour moi, j'aurais voulu que ça commence tout de suite, que ça dure et que ça ne s'arrête jamais. C'est con un môme. Surtout un comme moi.

Puis à un moment, l'effervescence monta, les gens remuèrent, sortirent de leur torpeur, ça s'agitait en haut lieu, et on annonça leur arrivée imminente dans les hauts-parleurs. J'étais au bord de la route, il y avait vraiment beaucoup de monde, et j'étais entouré d'adultes, petit parmi les grands, et je sentais que tous, nous allions communier ensemble dans la fraternité au passage des vélocipédistes tant attendus, et que ça allait être le jour le plus historique dans l'Histoire de France depuis au moins la Révolution, carrément pas moins.

Que nenni.

Les coureurs et le peloton arrivèrent et passèrent si rapidement que je ne pus qu'apercevoir très furtivement Poulidor le Héros une à deux secondes...Trente secondes plus tard, le gros de la troupe était passé. Restèrent quelques retardataires qui ne présentaient plus le moindre intérêt à mes yeux, moi j'étais venu pour Poupou, et d'ailleurs je crois que je ne connaissais que lui comme coureur. J'étais un peu déçu, mais ce n'était rien comparé à ce qui m'attendait encore.

Vint tout de suite après la caravane du Tour, un défilé de bagnoles bariolées vrombissant et klaxonnant à l'italienne, de la musique et de la fanfare, et des gens hissés sur ces voitures. Et l'inconcevable, pour moi, se produisit. Les voitures passaient, tout le monde criait, les gens étaient excités, j'étais pas mal secoué, puis une voiture passa devant nous et des jeunes femmes lancèrent dans notre direction des poignées de petits sachets.

Et là ce fut le carnage. Outre que nous avions pris ces petits sachets en pleine gueule comme des poules à qui on lance le grain, les adultes autour de moi, tous des géants, se battaient quasiment pour ramasser le plus de petits sachets possibles, je reçus des coups, j'étais méchamment secoué et écarté du précieux trésor, j'avais l'impression d'être au milieu d'un troupeau d'éléphants en furie, et je n'eus pas droit à mon petit sachet comme les autres. J'avais été secoué et écrasé sans ménagement, sans que ces connards d'adultes ne montrent le moindre égard pour un enfant glissé parmi eux.

Email diamant.

Ces petits sachets, c'était du dentifrice...

Je suis parti, je suis rentré chez ma grand-mère, j'étais abasourdi, déçu, en colère, déprimé. Le jour de fête s'était transformé en cauchemar. Sur le chemin, j'avais le coeur gros, et un profond désespoir monta en moi. J'avais vu des adultes se battre et brutaliser un petit garçon pour...des échantillons de dentifrice. Je me suis juré à ce moment-là que je ne serai jamais comme eux, comme ces gens, et j'avais honte pour eux. J'étais stupéfait que des gens se battent pour récupérer des babioles qu'on leur avait lancé comme s'ils étaient des chiens, autre grand sentiment que j'ai ressenti ce jour-là, la pub qui vous balançait son produit dans la gueule pour que vous l'achetiez ensuite. Ce jour-là , ça a été trop pour moi.

Aujourd'hui, cet épisode, quoique anodin, explique sans doute mon aversion pour la pub depuis toujours ou presque et la propagande plus largement. Plus grave, il m'a fait prendre mes distances d'avec les hommes, en général. J'ai appris à les tenir ces distances, à regarder la foule de loin, et à la plaindre surtout. J'ai une aversion pour la foule, la meute, le troupeau. Je suis devenu méfiant et j'ai des doutes sur l'être humain.

Commis par pow wow on mardi 16 mars 2010
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